(Xinhua/Shi Yifei)
BEIJING, 16 juin (Xinhua) -- Vêtu d'une veste traditionnelle Tang, complétée par une cravate ornée d'une exquise calligraphie chinoise, Joël Bellassen ne se contente pas de parler couramment le chinois : il vit et respire cette langue.
Depuis des décennies, ce Français passe sa vie à apprendre, à enseigner et à promouvoir la langue chinoise, dont il a fait une partie de son identité. Tout a commencé par un vif intérêt pour les caractères de la langue, qu'il a découvert pour la première fois en passant devant des restaurants chinois.
"Les caractères chinois ne sont pas seulement un outil", déclare-t-il à Xinhua. "Ils sont l'ADN de la culture chinoise".
M. Bellassen a été le premier inspecteur général de chinois au ministère de l'Education nationale et a dirigé l'élaboration du tout premier programme d'enseignement complet de cette langue, qui est actuellement utilisé dans toute la France.
Récemment, M. Bellassen est retourné à Beijing pour une visite académique organisée par le Centre mondial de sinologie de l'Université des langues et Cultures de Beijing, son alma mater, où il a approfondi ses études de chinois après avoir obtenu son diplôme de premier cycle en langue chinoise à Paris.
En 1969, M. Bellassen, alors âgé de 19 ans, a choisi de se spécialiser en chinois à l'Université Paris 8. Un choix inhabituel en France à l'époque, compte tenu des perspectives de carrière limitées associées à cette langue.
"C'était un défi", se souvient-il. "Ce qui m'a fasciné, c'est que j'apprenais quelque chose que personne d'autre n'osait faire".
En peu de temps, il est devenu passionné. Il a commencé à tracer des caractères et à enseigner à ses camarades de classe dès qu'il apprenait de nouveaux mots. Ce qui lui a même valu le surnom de "Chinois".
Pour M. Bellassen, la distance a toujours été synonyme d'opportunité.
"Des années 1970 à aujourd'hui, j'ai visité la Chine des centaines de fois", explique-t-il. "Chaque visite m'a permis d'approfondir ma compréhension de la culture chinoise. Plus j'en apprends, plus je réalise à quel point les caractères chinois sont indissociables de l'identité culturelle de la Chine".
Cette compréhension s'est davantage approfondie lors de sa visite des ruines de Yin à Anyang, dans la province chinoise du Henan (centre), en avril. Sur place, il y a vu les inscriptions sur os d'oracle, qui conservent des traces de la langue écrite chinoise d'il y a 3.000 ans.
Découvertes pour la première fois en 1899, les inscriptions sur os d'oracle font partie des quatre caractères les plus anciens du monde et ont été inscrites au Registre de la mémoire du monde de l'UNESCO.
"J'ai eu l'impression de faire un pèlerinage", indique M. Bellassen, en réfléchissant aux racines culturelles profondes de ces symboles anciens.
"Pour moi, les caractères chinois sont plus que des mots ; ce sont des réminiscences culturelles qui aident à expliquer ce qui semble impossible à traduire".
Selon lui, les caractères chinois possèdent même une dimension poétique.
"J'aime la poésie chinoise ancienne et les expressions idiomatiques à quatre caractères", explique M. Bellassen. "Ils résument des idées philosophiques profondes et complexes en seulement quelques caractères."
L'une des possessions les plus précieuses de M. Bellassen est une cravate dont les motifs sont inspirés du travail au pinceau du calligraphe chinois du XIVe siècle Zhao Mengfu. Offerte par un ami chinois, elle l'a accompagné dans d'innombrables déplacements universitaires.
"Les caractères eux-mêmes ont une beauté esthétique", précise-t-il, ajoutant qu'il s'est exercé à écrire son caractère chinois préféré, "wo", qui signifie "je", pendant des années.
M. Bellassen estime que l'apprentissage de l'écriture chinoise présente des avantages cognitifs uniques, en particulier pour les jeunes enfants.
"L'écriture des caractères aide à développer la coordination motrice, la conscience spatiale et le sens de l'organisation", explique-t-il. "Chaque trait a son importance ; chacun doit trouver sa place. C'est une façon différente d'entraîner à la fois la main et l'esprit".
De retour en France en 1975 après un programme d'échange de deux ans à Beijing, M. Bellassen a consacré les cinq décennies suivantes à introduire l'enseignement du chinois dans les salles de classe en France.
L'ouvrage intitulé "Méthode d'initiation à la langue et à l'écriture chinoises", compilé par ses soins, est devenu l'un des manuels de chinois les plus utilisés en France.
"La Chine a connu une modernisation rapide au cours des cinquante dernières années, mais ce qui est particulièrement remarquable, c'est le nombre de pratiques culturelles qui ont perduré", indique-t-il.
Un comportement artistique l'a étonné : dans un parc de Shanghai, il a pu voir un homme utiliser un grand pinceau, trempé dans l'eau, pour écrire des calligraphies sur le sol, appelées "dishu" en chinois. Généralement, les caractères sont amenés à disparaître lorsque l'eau sèche.
"C'est un phénomène culturel typiquement chinois", déclare-t-il. "Il reflète l'essence culturelle profonde de la Chine".
Son amour pour la culture chinoise va bien au-delà de la langue. Il est tombé amoureux de la cuisine chinoise - les boulettes de crevettes et les pattes de poulet de la cuisine cantonaise restent ses plats préférés. "Les Chinois et les Français accordent tous deux une grande attention à la nourriture", observe-t-il.
M. Bellassen espère depuis longtemps que davantage de personnes dans son propre pays apprendront à connaître la culture chinoise, en particulier la beauté des caractères chinois.
En 2019, à l'occasion du 55e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France, il a participé au lancement du premier Festival des caractères chinois à Paris, qui mettait à l'honneur l'art du "dishu".
"J'espère que le festival deviendra un événement où les gens pourront découvrir de plus près la beauté des caractères chinois", ajoute-t-il. "Sans eux, je ne serais pas ce que je suis aujourd'hui".
Source : Agence de presse Xinhua